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Ce qu'il y a de naturel et d'artificiel dans le parcours de vie d'un détenu. Analyse sémantique et énonciative du corpus Ex-VRP
Valérie Rochaix  1@  
1 : University of Tours
Laboratoire Ligérien de linguistique (UMR-CNRS 7270)

Si l'on retient la représentation aristotélicienne et aujourd'hui très commune d'un naturel vs un artificiel en fonction de l'absence ou non d'une intervention humaine (Larrère, 2015), il est possible de rapprocher cette opposition à celle que Searle propose entre faits bruts et fait sociaux (Searle, 1998). Si l'on retient cette dichotomie pour décrire la réalité sociale, la construction discursive, dans le discours des détenus de ce qui relève du naturel ou de l'artificiel dans leur parcours de vie peut apporter une grille de lecture de la responsabilité individuelle, de la responsabilité collective ou d'une forme de déterminisme que ces discours construisent dans le fait même de leur incarcération, voire de leur récidive. Elle donne alors à voir les marges de manœuvre que s'accorde le détenu dans son histoire passée et future.

Dans le cadre de cette communication, nous proposons d'appliquer cette grille au récit de vie de détenus recueillis lors d'entretiens semi-directifs menés en 2021 dans une prison de l'Ouest de la France. Le corpus Ex-VRP (Expériences de Vie et Résilience en Prison) compte 23 entretiens de 11 à 90 minutes (191 200 mots) avec des personnes volontaires pour les accorder, en attente de jugement, condamnées à de petites peines (trafics de drogue, délits routiers) ou en attente de transfert vers une centrale. Ils ont été structurés en quatre temps : (i) le détenu en tant qu'individu dans une organisation : arrivée en maison d'arrêt, organisation d'une journée ordinaire, gestion de l'espace et du temps, interactions, etc. ; (ii) le détenu et la justice : la question de la peine ; (iii) le détenu (moi et ici) et ses relations (moi et les autres) : avec les codétenus, les détenus, le personnel pénitentiaire, les intervenants extérieurs, les proches et (iv) la résilience comme processus installé dans le milieu carcéral : le passage de la liberté à la vie carcérale, le vécu émotionnel (agacement, colère, frustration, etc.), le regard sur l'expérience carcérale. Chacun de ces temps, avec des questions ouvertes, donne l'opportunité aux détenus d'inscrire leur action en lien avec l'ensemble des institutions qui organisent leur vie dans et hors de la détention.

Pour décrire ce qui relève, dans cette mise en mots, d'une objectivation (construisant une dimension ontologique de leur histoire de vie, dans laquelle le naturel est sollicitée) ou d'une subjectivation (qui l'inscrit en termes déontiques et axiologiques et pose la dimension artificielle et actancielle) des faits et de leurs conséquences, nous associerons les cadres de la Sémantique des Possibles Argumentatifs (Galatanu, 2018) en lien avec la théorie Searléenne de la construction de la réalité sociale et une analyse linguistique du discours de tradition française, adoptant une méthodologie quantitative textométrique et qualitative énonciative et sémantique.

Cette description a une visée applicative dans la mesure où elle devrait être à même de mettre au jour des axes de remédiation éventuels à travailler pour reconfigurer celle-ci et questionner les risques de récidive, au moins pour la part qui dépend du détenu lui-même.

Canut Cécile et al., 2019, Le langage, une pratique sociale. Éléments d'une sociolinguistique politique, Besançon, Presses universitaires de Franche‑Comté.

Galatanu Olga, 2000, « Langue, discours et systèmes de valeurs », in Eija Suomela-Salmi (dir.), Curiosités linguistiques, Turku, Université de Turku, p. 80‑102.

Galatanu Olga, 2003, « La sémantique des Possibles argumentatifs et ses enjeux pour l'analyse du discours », in Maria Jesus Salinero Cascante et Ignacio Iñarrea Las Heras (eds.), El texto como encrucijada: estudios franceses y francófonos, Actes du Congrès International d'Études Françaises, La Rioja, Croisée des Chemins, 7-10 mai 2002, Logroño, vol. 2, p. 213-226.

Galatanu Olga, 2018, La sémantique des possibles argumentatifs. Génération et reconstruction discursive du sens linguistique, Bruxelles, Peter Lang.

Guilhaumou, Jacques, 2004, « Un récit construit ensemble : Analyse du discours de sujets dit « exclus », in Mesini Béatrice, Pelen Jean-Noël, Guilhaumou Jacques, Résistances à l'exclusion : récits de soi et du monde, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, 269-302.

Larrère, Catherine et Larrère Raphaël, 2015 ; « Le naturel et l'artificiel », in Larrère Catherine et Larrère Raphaël, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte.

Rabatel Alain, 2012, « Positions, positionnements et postures de l'énonciateur », TRANEL. Travaux Neuchâtelois de Linguistique, 56, 23-42.

Rochaix, Valérie, 2023, « La vieillesse et la dépendance en tant que faits institutionnels qui construisent l'aidance ? Analyse de leur représentation sémantique dans le discours des aidants familiaux de malades d'Alzheimer dans le corpus Accmadial », Espaces Linguistiques, (6)

Searle John, 2004, « Réalité institutionnelle et représentation linguistique », in Jacques Bouveresse et Daniel Roche, La liberté par la connaissance. Pierre Bourdieu (1930‑2002), Paris, Odile Jacob, p. 189‑214.

Searle, John, 1998, La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard Nrf essais.


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