Dans son ouvrage de 2019, Millet affirme à propos des langues de signes « [s]ans mouvement, il n'y a pas de signe lexical. Sans mouvement, il n'y aurait qu'une posture. Le mouvement est donc une nécessité linguistique » tout en reconnaissant que « le mouvement est le paramètre qui pose le plus de problèmes à la description. » (Millet 2019 : 71).
Pourquoi l'analyse du mouvement reste-t-elle, aujourd'hui encore, un défi pour la linguistique des langues signées?
Mon hypothèse est que cette difficulté de description est la manifestation d'un problème de théorisation sous-jacent. Alors que l'approche classique des signes privilégie l'analyse de la trajectoire de la main dans l'espace à partir d'un répertoire préétabli (cercle, zig-zag, droite), j'ai orienté mon étude vers la description des mouvements articulaires internes des trois segments du membre supérieur – la main, l'avant-bras et le bras – et les variations de leurs degrés de liberté (Boutet 2018).
La transcription d'un corpus de 1573 signes a mis en évidence des propriétés d'auto-organisation et d'économie du contrôle moteur au sein de productions en langue des signes française. La majorité des signes sont exécutés de manière économique pour le corps, grâce à des combinaisons de mouvements optimisées par le système musculo-squelettique (Turvey 1990). Ces résultats remettent en question la complexité traditionnellement associée au paramètre du mouvement. Plus encore, ils rappellent que le corps n'est pas seulement le vecteur des signes, il est le milieu dans lequel ils se construisent, s'organisent et se transforment en unités sémantiques (Chevrefils 2022).
Cette prise en compte du rôle fondamental du corps m'a conduit à formaliser l'association entre deux disciplines : la kinésiologie, centrée sur l'organisation dynamique corporelle et les possibilités articulatoires, et la linguistique, qui examine comment ces organisations forment des structures signifiantes au sein de la langue. Cette approche kinésio-linguistique, applicable aux 159 langues des signes ainsi qu'à la gestualité co-verbale, constitue un renouveau méthodologique et théorique prometteur pour la compréhension des interactions humaines.
Mots-clés :
Kinésio-linguistique ; langue des signes française ; dynamiques corporelles ; mouvement ; transcription
Bibliographie :
Boutet D. 2018. Pour une approche kinésiologique de la gestualité : synthèse. Habilitation à diriger des recherches, Université de Rouen-Normandie.
Chevrefils L. 2022. Formalisation et modélisation du mouvement en Langue des Signes Française : pour une approche kinésio-linguistique des productions gestuelles. Thèse de doctorat, Université de Rouen-Normandie.
Millet A. 2019. Grammaire descriptive de la langue des signes française : dynamiques iconiques et linguistique générale. UGA Éditions (Grenoble). doi: 10.4000/books.ugaeditions.15959
Turvey, M.T. (1990). Coordination. American Psychologist, 45, 938-953.