beandeau>

Kit du participant > Résumés > Bouillet Wilfried

Intelligence artificielle et artificialisation de la pensée
Wilfried Bouillet  1@  
1 : Université de Lorraine
Université de Lorraine, Université de Lorraine

« Chez toutes les nations l'on parla d'abord en vers, puis en prose. » (Vico, 1827, p.50). Les capacités linguistiques des machines sont nécessairement issues des usages langagiers de leurs concepteurs et utilisateurs, leur implémentant non seulement lexique et syntaxe, mais aussi des formes d'expression déterminées par des modes de pensées inconscients d'eux-mêmes. L'intelligence artificielle nous parle d'abord parce qu'elle parle comme nous, et de nous-mêmes, se faisant miroir de ce que nos langues sont devenues, sans réelle altérité, se faisant continuité d'usages et de fonctions. La réduction du langage et de l'expression douée de sens, à des programmes et algorithmes nous invite par effet retour à réfléchir à la manière dont nos propres langues sont devenues elles-mêmes de simples produits mécaniques, générant des machines à parler et penser. Comme la mécanisation du travail qui ne fut possible que par la mécanisation préalable de l'activité humaine décomposée rationnellement et scientifiquement, la mécanisation des langues et de la pensée, transmise une nouvelle fois à la machine, n'est finalement que l'aboutissement d'un processus profond de transformation du langage en formules déterminées et automatiques. Le langage des machines manifeste une machination déjà ancienne, le passage d'un langage primitif et poétique, à un ordre d'expression déterminé par la « ratio », où la puissance et la richesse de l'immense chant des passions, est réduit à la froide méthode des énoncés et la recherche de leur validation. Comment les langues modernes se sont-elles transformées pour devenir de simples formules par les machines intégrées ?

 

Nous tâcherons de revenir sur le débat de l'origine des langues, ayant opposé les partisans d'une vision poétique (Rousseau, 1990) et les tenants d'une approche rationnelle, soulignant par-là même comment la philosophie s'est construite contre un certain usage lyrique du langage. Matrice de la méthode scientifique, la pensée conceptuelle grecque s'est définie à son origine non contre la sophistique, usage pernicieux du raisonnement, mais contre la figure du poète, Homère, proposant une vision radicalement différente de la véracité (Fink, 1966, et Collobert, 2012). Juge du discours par le moyen du concept, le philosophe condamne irrémédiablement au bannissement la parole poétique et sa conception, à la fois belle et intuitive, d'une certitude chantée (Vico, 1827).

Origine des langues, poétique, pensée conceptuelle, mécanisation de la pensée

Bibliographie indicative :

Collobert, C. (2012). « L'effet poétique chez Homère et Platon : plaisir des sens et plaisir du sens. ». Revue de Philosophie Ancienne : 30, no. 1 (2012), pp. 87–109.

Fink, E. (1966). Le jeu comme symbole du monde. Traduit par Hildenbrand, H. et Lindenberg, A. Paris : les Éd. de Minuit.

Platon. (1966). La République. Traduit par Robert Baccou. Paris: Flammarion, DL.

Rousseau, J-J. (1990). Essai sur l'origine des langues : où il est parlé de la mélodie et de l'imitation musicale. Édité par Jean Starobinski. Paris : Gallimard.

Vico, G. (1827). Principes de la philosophie de l'histoire. Traduit par Michelet, J. [1725]. Paris: J. Renouard.

 


Chargement... Chargement...